« Est-ce que je vais devenir pédophile ? » En 2016, Paul a 25 ans. Tout juste diplômé de Polytechnique, il s’apprête à entrer au séminaire de Paris. Une évidence pour lui, qui a fait l’expérience de Dieu dès l’âge de sept ans, pour sa première communion. Mais, au moment de franchir le pas, il est brusquement saisi par un doute : ne risque-t-il pas de mal tourner ? Comme Bernard Preynat, ce prêtre lyonnais dont on commence tout juste à parler dans les médias, accusé d’avoir agressé sexuellement des dizaines de jeunes garçons au cours de sa vie ? « Non, ne t’inquiète pas, ça ne t’arrivera pas, le rassure un prêtre. On ne devient pas pédophile du jour au lendemain ».
Cette question, de nombreux séminaristes parisiens que nous avons rencontrés se la sont posée. Elle plane comme une ombre au-dessus de ces sept années de formation à la prêtrise, marquées par la répétition des scandales : il y a d’abord eu l’affaire Preynat, donc, qui a inspiré le film Grâce à Dieu, sorti en 2018. Puis les Religieuses abusées, un documentaire de 2019 traitant des violences sexuelles commises par des religieux contre des religieuses, ou l’enquête contre Jean Vanier, le fondateur de l’Arche, accusé d’avoir abusé de plusieurs femmes. Dernier épisode en date : le rapport de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (Ciase), présidée par Jean-Marc Sauvé. Remis en octobre 2021 après plus de deux ans d’enquête, il estime qu’au moins 216 000 mineurs ont été victimes de religieux en France depuis les années 1950.
« Pour moi, ça a été une déflagration, j’étais abasourdi. Ensuite j’ai lu les témoignages. Et j’ai pleuré… », confie Paul, la gorge nouée et les yeux embués. Plus de six mois après la publication du rapport, la douleur est encore vive : « tout le monde peut mesurer l’horreur de ce qui a été commis mais je pense que seuls les croyants peuvent en toucher la véritable noirceur : quand j’ai lu que des abus avaient été commis pendant la confession, ce moment si beau où l’on fait l’expérience concrète du pardon de Dieu, j’ai été glacé ».
« Quelque chose de radical »
A-t-il pensé à rejeter l’appel de Dieu ? « Les jours suivants la remise du rapport, je pleurais sur mon vélo en partant en cours, raconte le jeune homme. Je me demandais ce que je faisais là, si tout ça avait encore un sens... Mais je ne me suis pas dit que j’allais partir. Ce qui m’a fait rester, c’est mon attachement au Christ ».
Malgré la honte, ces jeunes hommes âgés de 23 à 33 ans n’entendent donc pas renoncer à leur volonté de devenir prêtre. Un appel qu’ils sont chaque année un peu moins nombreux à ressentir : de 976 en 2000, le nombre de séminaristes diocésains en France a chuté à 619 en 2020. Depuis 2015, quatre séminaires (à Caen, Bordeaux, Lille et Metz) ont dû fermer faute de candidats ou de formateurs.
Dans un pays où les églises n’en finissent pas de se vider, « il y a quelque chose de radical dans la volonté de ces jeunes de devenir prêtre, estime le père Jean-Christophe Meyer, secrétaire général adjoint à la Conférence des évêques de France (CEF). Ceux qui entrent au séminaire aujourd’hui n’y entrent pas simplement parce que c’est une éventualité dans leur tête, mais parce qu’ils ont un vrai engagement spirituel, un fondement dans la prière très fort et un réel désir d’entrer dans la mission de l’Église ».
Suspicion permanente
Parmi eux, certains ont grandi dans la foi catholique, d’autres l’ont découverte sur le tard. Erwan trempe dans le milieu de la techno, « avec les filles d’un soir, la coke et tout ce que tu veux », avant de se convertir lors d’un festival chrétien à Paray-le-Monial (Bourgogne). Il abandonne ses études de médecine militaire et intègre le séminaire de Paris en 2019. Diplômé d’une grande école de commerce parisienne, Maxime vit quant à lui sa « révolution intérieure » au début des années 2010 en se confessant, pour la première fois de sa vie, au cours d’un week-end de retraite à Vézelay, dans l’Yonne.
Confirmé adulte, il part vivre un an avec des prêtres missionnaires au Bénin, en Inde et au Brésil avec le désir de servir les pauvres. À son retour, il est embauché dans un cabinet de conseil en stratégie. Mais l’appel à la prêtrise finit par le rattraper. En 2016, il entre au séminaire à 28 ans. « Quand je l’ai annoncé dans mon cabinet de conseil, on ne me faisait que des blagues sur les prêtres pédophiles. C’était hallucinant », se souvient le jeune homme. Il y a aussi cette amie, non croyante. Maxime lui fait part de sa décision. Elle tente de le dissuader en avançant que « 50 % des prêtres sont pédophiles ». « Je ne leur en ai pas voulu parce que je sais qu’ils ne connaissent pas la réalité de l’Église, moi elle m’a sauvé », explique Maxime.